Face perso

Ecrire, oui, mais dans un tout autre exercice…

Place aux sensations, à l’improvisation et à l’émotion !

Trois contes pour accompagner des œuvres au pastel, amusant de se lâcher… et surtout ne pas se prendre au sérieux !

 

Conte inspiré par l’œuvre « Face à face », réalisation Pastellissimo

Dis-moi, comment trouver le chemin de la raison ? J’ai traversé toutes les mers, dépassé tous les obstacles, rencontré ces hommes qui vivent sur les terres les plus arides… J’ai vu ceux qui ployaient le dos sous les coups, ceux qui baissaient le regard sous l’humiliation, ceux qui jubilaient d’avoir gagné, ceux qui ricanaient d’avoir vaincu. Mes pieds ont ressenti tous les gravillons de la Terre, mes mains en ont serré d’autres, mes yeux ne peuvent plus que reproduire des images. Mon cœur a tant vibré qu’il va bientôt s’arrêter. Mais je cherche encore…

Ainsi parlait Séraphin, l’ancien savetier des Baronnies.

Alors le chêne vénérable, qui avait vu bien plus encore, depuis mille ans qu’il poussait ses branches vers le ciel, à la recherche de la lumière éternelle, lui fit cette proposition étonnante.

Entre, entre donc, faufile-toi à l’intérieur de mon tronc. Viens lire toutes ces histoires que j’ai capturées, écouter les cris des chevaliers, les rires des troubadours, les soupirs des amoureux. Ce n’est peut-être pas une réponse que tu trouveras. Mais des dizaines et des centaines. Car chaque histoire, chaque petit être qui creuse son sillon sur cette Terre et prend sa place, détient un bout de la vérité.

A chacun de trouver la sienne.

Alors Séraphin posa son bâton, s’enfonça dans l’enchevêtrement de racines et s’assit au cœur de l’arbre. À la lumière.

À ce jour, il n’est point reparu encore.

Il se raconte dans la région que toutes ces pensées et ces penseurs sont autant d’années de plus à vivre pour ce chêne vénérable.

2e inspiration : La dernière farce de Jean-des-Bois

Jean-des-Bois était un drôle de petit bougre.

Tous les matins que Dieu lui donnait, il s’éveillait sous un nouveau buisson, les gouttes de rosée roulant sur les bords de son chapeau de feuilles de campanule. Sitôt l’œil ouvert, il lui venait une nouvelle idée de facétie qui le faisait sourire, puis se trémousser sur son lit de mousse, avant qu’un rire, aussi léger que le chant du rossignol et aussi puissant que le “kru kru kru” du pic noir, ne l’emplisse et s’éparpille en trilles jusqu’aux quatre coins de la forêt.

Jean-des-Bois était un sacré farceur. Il était par-dessus tout redouté des paysans qui ne craignaient rien tant que de trouver la porte de l’écurie ouverte sur le jour levant et leurs bêtes éparpillées dans les prairies, jusqu’au ruisseau, et mélangées aux autres troupeaux. Ou de découvrir des graines de lentilles et de pois dans leurs sacs de farine. Il se raconte aussi qu’un jour, une brave fermière découvrir au matin dans son lit, non point son mari, mais celui de la ferme voisine… qui jura s’être pourtant endormi aux côtés de sa Bertille et ne point l’avoir quittée.

Ce jour-là, le petit lutin farceur mijotait une de ses petites blagues pour les hautains châtelains de Beauvallon. Pour mener à bien son plan, il lui fallait se préparer à entrer dès le coucher du soleil dans la citadelle de pierre. Tout en chantant, il cueillait ça et là épis de blé, fleurs de bleuet et gais coquelicots, qu’il allait accrocher aux murs, à la place des affreuses têtes de cerfs et sangliers qui ornaient les boiseries. Comme il serait drôle de voir la tête de la sombre comtesse ou de son sinistre fils, découvrant ces trophées de chasse aux yeux vides… sur leurs blancs oreillers !

Chemin faisant, Jean-des-Bois composait des bouquets tous plus odorants et colorés, qu’il déposait près du ruisseau pour leur garder toute leur intensité. Car aussi farceur et irrespectueux qu’il fût, le lutin était un grand cœur dédié à la nature et à ses beautés. Tout à sa cueillette et à ses refrains coquins, il ne prêta pas attention au doux frottement qui suivait tous ses déplacements. Chuchotant des mots tendres aux douces anémones, il prenait un air énamouré en caressant du regard un sabot-de-Vénus. Enfin, sa récolte terminée, il s’accorda une petite pause sous un parapluie de fougère, grignotant des baies de sureau. Il ne résista pas à la douceur de l’instant, et ferma les yeux.

Lorsqu’il les rouvrit, il était allongé sur un confortable matelas d’aiguilles, à la cime de majestueux pins. Dans le soleil déclinant, roussissant tout alentour, il aperçut soudain les grands yeux moqueurs de la plus belle créature qu’il lui ait été donné de voir. Ses cheveux, aussi roux que le pelage de l’écureuil, lui couvraient tout le haut du corps, habillé d’une robe cousue de toiles d’araignée.

Jean-des-Bois sursauta, partagé entre la surprise de découvrir aussi taquin que lui, le bonheur le plus fou qui remplissait son corps de chaleur… et l’envie de descendre très vite à terre poursuivre sa mission ! Sa belle était-elle aussi habile pour lire dans les cœurs ? Voyant le soleil disparaître, elle lui adressa un clin d’œil complice, lui prit la main et, saisissant dans l’autre une liane de lierre tressée, l’emmena dans une vertigineuse descente jusqu’à la terre ferme. Là, entourant leurs deux silhouettes d’une écharpe de cheveux roux, elle lui chuchota à l’oreille tout ce qu’elle avait vu depuis le matin. Comment, réveillée par son joyeux rire, elle n’avait eu de cesse de le trouver. Comment, à le voir si tendrement affairé entre les fleurs, elle avait eu envie d’être cueillie à son tour avec tendresse. Et comment, alors qu’il n’avait pas prêté attention aux éclats d’or qu’elle avait semés sur les chemins et au bord de l’eau, elle l’avait emmené dans son repaire et regardé dormir, des heures durant. À présent, il lui pressait de connaître tous ses secrets, et surtout celui de son hilarité. Mise dans la confidence, Chloé-la-rousse décida aussitôt de lui prêter main forte pour causer quelque gentil mais moqueur tourment aux châtelains. N’avaient-ils pas maintes fois piétiné leurs tapis de fleurs, mis à terre les plus fiers rois de la forêt ?

Depuis ce jour, les habitants de Beauvallon se couchent chaque soir avec inquiétude, soulevant couettes, oreillers, regardant jusque sous le lit, avec la crainte de voir apparaître une tête de cerf, un groin de sanglier ou le portrait des aïeuls descendus de leur cadre. Dans la citadelle de pierre, les douces odeurs et les couleurs de la nature n’ont toujours pas plus de place… ces vertues-là n’apparaissent qu’aux coeurs simples. Quant aux paysans, ils peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Là-haut, au sommet des frondaisons, Jean-des-Bois et Chloé-la-rousse sont bien trop occupés à se raconter leurs facéties et à en rire du matin au soir, à mijoter des recettes de beignets d’ortie et de tartine d’ail-des-ours, à sauter de branche en branche main dans la main, pour aller taquiner qui que ce soit.

Moralité : vivre à deux n’exclut pas la facétie, mais la partager est bien plus agréable que d’en faire souffrir autrui.

 

Et un petit 3e pour la route… Le grand chien noir qui n’aimait pas la couleur

Il était une fois un village accroché au pied d’une falaise, au bout d’un long chemin pavé. Les habitants travaillaient la terre, se nourrissaient de ses fruits et vivaient paisiblement, sans joie excessive ni grave tourment. Un jour, à l’heure où les enfants sortaient tout juste de classe, chahutant et se bousculant, un énorme chien fit son entrée dans le le village, son ombre gigantesque se projetant entre les premières maisons du village. Surpris, les enfants le regardèrent s’avancer, à pas lents, les yeux et la gueule masqués derrière d’épaisses touffes de duvet blanc. Majestueux, il s’approcha d’eux, finit par s’arrêter devant le bâtiment gris de l’école. Seules bougeaient ses longues oreilles, qui dépassaient presque le bord du toit de lauzes.

Le temps semblait s’être arrêté, un silence pesant remplaçait les cris des écoliers, figés sur place.

Puis l’animal s’assit sur son derrière, regarda longuement autour de lui, et finit par poser son museau dans la main de la petite Lucie, la plus téméraire, la plus curieuse d’entre tous. À pas prudents, elle s’était approchée pour observer de plus près cette bête si étrange. Conquise, elle passa alors le bras autour du cou du vieux chien et posa sa tête contre la sienne. Alors, petits et grands s’avancèrent à leur tour et bientôt, tout le village fut réuni autour de la place.

Ainsi commença une soirée magique, comme les habitants n’en avaient pas connue depuis longtemps, depuis qu’avaient cessé les contes et les veillées, les danses et les feux de la Saint-Jean. Tout le soir, le chien leur conta ses voyages, la chaleur et les couleurs des pays du Sud. Les maisons arc-en-ciel, les accents gais et les chants qui animaient les rues à toute heure du jour.

Au petit matin, les parents s’éveillèrent les uns après les autres, sur la place, tout engourdis. Les enfants, eux, étaient déjà sur pied depuis longtemps. Entraînés par ces récits, ils avaient passé le reste de la nuit, avec leur maîtresse Melle Violette, à vider les placards et les tiroirs de l’école de tous leurs pots de peinture. Guidés par les évocations du grand chien noir, ils avaient commencé à repeindre les murs de l’école, les devantures des commerces et les trottoirs du village. Enhardis à leur tour, les adultes se laissèrent aller à badigeonner à leur tour les falaises et les pierres des chemins, à colorer leurs habits en chantonnant.

Tous étaient si occupés à redécouvrir la gaieté du jour qu’ils ne virent pas la fine et haute silhouette noire qui s’éloignait à pas lents du village. Seules Lucie et Melle Violette l’accompagnèrent du regard, jusqu’à ce que, sous le chaud soleil de midi, seul le bout noir et blanc de sa queue fut encore visible. Sur le chemin, l’empreinte de ses pattes dessinait une trace multicolore, qui se prolongeait, bien au-delà des limites du village, le long des routes et sentiers où ce grand sage apportait sa vision colorée de la vie.

2 réflexions au sujet de “Face perso”

  1. Un grand merci des pastellistes pour avoir su si bien mettre des mots autour de nos contes. Ah, quand les artistes se complètent, que d’émotions…
    On attend les suivants !
    Bisous

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